L’analyse de la notion de « mesures habituelles » au sens de l’article L 125-1 du Code des assurances s’inscrit dans le cadre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Cette notion, centrale pour l’ouverture du droit à garantie, conditionne la reconnaissance du caractère indemnisable des dommages subis. La question porte sur la définition, la portée et l’appréciation de ces mesures, tant au regard de la loi que de la jurisprudence, et sur la manière dont elles s’articulent avec la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et la mobilisation de la garantie d’assurance.
D’emblée, il convient de souligner que la notion de « mesures habituelles » n’est pas définie de façon exhaustive par le législateur, mais qu’elle a fait l’objet d’une construction jurisprudentielle précise, qui en éclaire la portée et les modalités d’appréciation. L’étude qui suit s’appuie sur les textes législatifs applicables et sur la jurisprudence la plus récente et la plus pertinente, afin de fournir une analyse complète et opérationnelle de la notion.
Cadre légal de la garantie catastrophe naturelle et place des mesures habituelles
L’article L 125-1 du Code des assurances constitue le socle du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Selon cet article, la garantie de l’assuré contre les effets des catastrophes naturelles ne s’ouvre que si les dommages matériels directs non assurables ont eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, « lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises ».
L’Article L125-1 du Code des assurances dispose ainsi : « Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel ou également, pour les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, la succession anormale d’événements de sécheresse d’ampleur significative, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises. »
Cette exigence vise à exclure de la garantie les dommages qui auraient pu être évités par la mise en œuvre de précautions ordinaires, c’est-à-dire celles que l’on peut raisonnablement attendre d’un propriétaire ou d’un exploitant normalement diligent, compte tenu de la nature du bien et de l’état des connaissances au moment du sinistre.
L’article L 125-2 du même code, qui précise les modalités de mise en œuvre de la garantie, ne définit pas davantage la notion de mesures habituelles, mais il encadre strictement les conditions d’indemnisation et rappelle que la garantie ne peut être écartée que dans les cas prévus par la loi ou les clauses types.
L’Article L125-2 du Code des assurances dispose : « La garantie ainsi instituée ne peut excepter aucun des biens mentionnés au contrat ni opérer d’autre abattement que ceux qui seront fixés dans les clauses types prévues à l’article L. 125-3. Toutefois, pour les dommages ayant eu pour cause déterminante les mouvements de terrain différentiels mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 125-1, la garantie est limitée aux dommages susceptibles d’affecter la solidité du bâti ou d’entraver l’usage normal du bâtiment. Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions de mise en œuvre de cette garantie, notamment la nature des dommages couverts et les modalités d’indemnisation. »
L’article 1 de la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982, à l’origine du régime, reprend la même formulation et insiste sur le fait que la garantie ne joue que lorsque les mesures habituelles n’ont pu empêcher la survenance du dommage.
L’Article 1 de la Loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles précise : « Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles , au sens de la présente loi, les dommages matériels directs ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises. »
Appréciation des mesures habituelles par la jurisprudence
La jurisprudence a eu à se prononcer à de nombreuses reprises sur la portée de la notion de mesures habituelles, en précisant les critères d’appréciation et les conséquences de leur absence ou de leur inefficacité.
La jurisprudence sur la définition et l’appréciation des mesures habituelles
Dans une décision récente, le Tribunal Judiciaire de Draguignan a rappelé que la mobilisation de la garantie catastrophe naturelle suppose que les mesures habituelles pour prévenir les dommages aient été prises, ou, si elles l’ont été, qu’elles n’aient pas permis d’empêcher la survenance du sinistre. Il a également précisé que le caractère déterminant de l’agent naturel ne correspond pas à la cause exclusive du dommage, mais qu’il convient de rechercher si les dommages sont consécutifs à un sinistre reconnu comme catastrophe naturelle, peu importe qu’une autre cause ait concouru au dommage.
Ainsi, le Tribunal a jugé que l’absence de prise de mesures habituelles fait obstacle à la mobilisation de la garantie, même si l’intensité anormale de l’agent naturel est reconnue.
Tribunal Judiciaire de Draguignan, Chambre 3 construction, 19 novembre 2024, n° 21/07545
: « Au cas d’espèce, la garantie pour être mobilisée suppose donc d’une part, que la sècheresse d’intensité anormale de 2017 ayant conduit à la délivrance de l’arrêté de catastrophe naturelle du 18 septembre 2018 a engendré de manière déterminante les désordres subis, et d’autres part, que les mesures habituelles pour prévenir ces dommages ont été prises, ou si, l’ayant été, elles n’ont pu empêcher leur survenance. Il est constant que le caractère déterminant décrit à l’article 125-1 du code des assurance ne correspond pas à la cause exclusive du dommage ; il convient de rechercher si les dommages directs et non assurables sont consécutifs à un sinistre reconnu comme catastrophe naturelle, peu importe qu’une autre cause ait concouru au dommage. »
Cette décision illustre que l’appréciation des mesures habituelles relève d’une analyse in concreto, tenant compte des circonstances propres à chaque sinistre, de la nature des biens, de leur usage et des connaissances techniques disponibles.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 décembre 2016, a confirmé que l’appréciation de la cause déterminante au sens de l’article L 125-1 relève du pouvoir souverain des juges du fond, ce qui inclut l’examen des mesures habituelles prises ou non par l’assuré.
Cour de cassation, Chambre civile 2, 8 décembre 2016, 15-17.180, Publié au bulletin
: « L’appréciation de la cause déterminante au sens de l’article L. 125-1, alinéa 3, du code des assurances relève du pouvoir souverain des juges du fond »
Les critères d’appréciation des mesures habituelles
La jurisprudence administrative a également précisé que l’administration, pour reconnaître l’état de catastrophe naturelle, doit vérifier que les mesures habituelles n’ont pu empêcher la survenance des dommages. Les critères retenus par la commission interministérielle, tels que le réservoir hydrique ou l’occurrence statistique, sont jugés conformes à la loi dès lors qu’ils permettent d’apprécier l’intensité anormale de l’agent naturel et l’efficacité des mesures de prévention.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a ainsi jugé que l’administration n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur ces critères pour apprécier la survenance d’une sécheresse d’intensité anormale et l’inefficacité des mesures habituelles.
: « il résulte des dispositions précitées de l’article L. 125-1 du code des assurances que l’état de catastrophe naturelle n’est constaté par arrêté interministériel que dans le cas où les dommages qui résultent de cette catastrophe ont eu pour cause déterminante l’intensité anormale de l’agent naturel en cause ; qu’en se fondant sur les critères dits du réservoir hydrique et de l’occurrence statistique retenus par la commission interministérielle relative à l’indemnisation des victimes de catastrophe naturelle, et qui ont été établis en tenant compte des particularités présentées par la sécheresse intervenue au cours de l’été 2003 par rapport aux années précédentes ainsi que des précipitations et des phénomènes d’évaporation et d’évapotranspiration, et en définissant des seuils de sécheresse en deçà desquels une commune ne peut être regardée comme ayant connu une sécheresse d’une intensité anormale, l’administration n’a pas commis d’erreur de droit ; »
La même cour, dans une autre affaire, a confirmé que l’administration pouvait se fonder sur ces critères pour apprécier l’existence ou non de mesures habituelles efficaces.
: « il résulte des dispositions précitées de l’article L. 125-1 du code des assurances que l’état de catastrophe naturelle n’est constaté par arrêté interministériel que dans le cas où les dommages qui résultent de cette catastrophe ont eu pour cause déterminante l’intensité anormale de l’agent naturel en cause ; qu’en se fondant sur les critères dits du réservoir hydrique et de l’occurrence statistique, retenus par la commission interministérielle relative à l’indemnisation des victimes de catastrophe naturelle, et qui ont été établis en tenant compte des particularités présentées par la sécheresse intervenue au cours de l’été 2003 par rapport aux années précédentes ainsi que des précipitations et des phénomènes d’évaporation et d’évapotranspiration, et en définissant des seuils de sécheresse en deçà desquels une commune ne peut être regardée comme ayant connu une sécheresse d’une intensité anormale, l’administration n’a pas commis d’erreur de droit ; »
L’articulation avec la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle
La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par arrêté interministériel suppose donc que l’intensité anormale de l’agent naturel soit établie et que les mesures habituelles n’aient pas permis d’éviter les dommages. Cette reconnaissance conditionne l’ouverture de la garantie d’assurance.
Le Conseil d’État a rappelé que l’état de catastrophe naturelle n’est constaté que si les dommages ont eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, et que les mesures habituelles n’ont pu empêcher leur survenance.
Conseil d’Etat, 6 / 2 SSR, du 17 janvier 1996, 145018, inédit au recueil Lebon
: « Considérant qu’aux termes de l’article L. 125-1 du code des assurances, tel qu’il a été modifié par la loi du 16 juillet 1992 : « Les contrats d’assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l’Etat et garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l’assuré contre les effets des catastrophes naturelles sur les biens faisant l’objet de tels contrats …. Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises. L’état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s’est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie …. » ; »
Portée et contenu des mesures habituelles
La notion de mesures habituelles renvoie à l’ensemble des précautions, travaux ou comportements que l’on peut raisonnablement attendre d’un propriétaire ou d’un exploitant pour prévenir les dommages liés à un agent naturel. Il s’agit de mesures ordinaires, connues et accessibles, qui relèvent de la diligence normale, et non de mesures exceptionnelles ou particulièrement coûteuses.
La jurisprudence n’a pas dressé de liste exhaustive de ces mesures, mais leur appréciation dépend de la nature du bien, de sa localisation, de son usage, des risques connus et des recommandations techniques ou administratives en vigueur. Par exemple, pour un bâtiment situé en zone inondable, les mesures habituelles peuvent inclure l’entretien des dispositifs d’évacuation des eaux, la surélévation des équipements sensibles, ou la mise en œuvre de prescriptions techniques prévues par les plans de prévention des risques.
Le Tribunal Judiciaire de Draguignan, dans la décision précitée, a jugé que l’absence de prise de mesures habituelles fait obstacle à la garantie, même si l’intensité anormale de l’agent naturel est reconnue. Il appartient donc à l’assureur, en cas de contestation, de démontrer que l’assuré n’a pas pris les mesures ordinaires qui s’imposaient.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a également jugé que l’administration pouvait se fonder sur des critères objectifs pour apprécier l’efficacité des mesures habituelles, en tenant compte des particularités locales et des données scientifiques disponibles.
Synthèse des apports jurisprudentiels
La jurisprudence met en avant plusieurs principes directeurs :
- Les mesures habituelles sont celles que l’on peut raisonnablement attendre d’un propriétaire ou d’un exploitant normalement diligent, compte tenu de la nature du bien, de sa localisation et des risques connus.
- L’absence de prise de mesures habituelles fait obstacle à la mobilisation de la garantie catastrophe naturelle, même si l’intensité anormale de l’agent naturel est reconnue.
- L’appréciation de l’existence et de l’efficacité des mesures habituelles relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent procéder à une analyse in concreto.
- L’administration, pour reconnaître l’état de catastrophe naturelle, peut se fonder sur des critères objectifs et scientifiques, dès lors qu’ils permettent d’apprécier l’intensité anormale de l’agent naturel et l’efficacité des mesures de prévention.
Conclusion
La notion de « mesures habituelles » au sens de l’article L 125-1 du Code des assurances désigne l’ensemble des précautions ordinaires, connues et accessibles, que l’on peut attendre d’un propriétaire ou d’un exploitant normalement diligent pour prévenir les dommages causés par un agent naturel. L’absence de telles mesures fait obstacle à la mobilisation de la garantie catastrophe naturelle, même si l’intensité anormale de l’agent naturel est reconnue. L’appréciation de ces mesures relève du pouvoir souverain des juges du fond et doit être effectuée au cas par cas, en tenant compte de la nature du bien, de sa localisation, de son usage et des risques connus. La jurisprudence confirme que l’administration et les juridictions peuvent se fonder sur des critères objectifs et scientifiques pour apprécier l’efficacité des mesures habituelles et la survenance du sinistre.