La question posée invite à déterminer si, dans le cadre de l’indemnisation des dommages causés par une catastrophe naturelle sécheresse, la prise en charge par l’assureur de la création d’une fondation spéciale (par exemple, la réalisation de micropieux ou d’autres techniques de confortement) constitue ou non un enrichissement sans cause de l’assuré.
Cette problématique est centrale dans la pratique de l’assurance des risques de catastrophes naturelles, notamment lorsque l’assureur conteste la nécessité ou l’étendue des travaux de reprise, en soutenant que la solution technique retenue excède la simple remise en état à l’identique et conférerait à l’assuré un avantage injustifié.
L’analyse du droit positif, à la lumière des textes applicables et de la jurisprudence, conduit à écarter l’argument de l’enrichissement sans cause dès lors que la création d’une fondation spéciale est justifiée par la nécessité de remédier aux désordres causés par la sécheresse et de prévenir leur réapparition.
Principales conclusions
La jurisprudence constante considère que la garantie de l’assureur couvre les travaux indispensables pour faire cesser les désordres, même si ceux-ci consistent en la réalisation d’ouvrages plus performants que ceux d’origine, dès lors que cette solution est imposée par la nature du sinistre et l’état du sol.
Les textes législatifs, notamment l’Article L125-1 du Code des assurances, imposent la réparation des dommages matériels directs ayant pour cause déterminante la sécheresse, sans limiter la garantie à une simple remise en état à l’identique lorsque celle-ci serait inadaptée. La jurisprudence, tant de première instance que d’appel et de la Cour de cassation, confirme cette analyse.
La jurisprudence : la création d’une fondation spéciale n’est pas un enrichissement sans cause
La jurisprudence est constante pour considérer que la création d’une fondation spéciale, lorsqu’elle est imposée par la nature des désordres et la configuration du sol, ne constitue pas un enrichissement sans cause de l’assuré, mais une réparation nécessaire et proportionnée au dommage subi.
Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation, Chambre civile 2, 8 décembre 2016, 15-17.180, Publié au bulletin rappelle que « L’appréciation de la cause déterminante au sens de l’article L. 125-1, alinéa 3, du code des assurances relève du pouvoir souverain des juges du fond ». Dans cette affaire, la cour d’appel avait retenu que la sécheresse était la cause déterminante des désordres, même en présence de défauts de conception des fondations, et avait condamné l’assureur à indemniser l’assuré pour les travaux de reprise nécessaires. L’argument de l’assureur, selon lequel la solution technique retenue excédait la simple remise en état à l’identique, a été écarté, la cour ayant jugé que la réparation devait être effective et durable.
De même, la Cour d’appel de Riom, 14 décembre 2015, n° 14/02339 a jugé que « la précarité des systèmes de fondations et de la construction avait été un facteur très aggravant des dommages constatés », mais que « le phénomène de sécheresse [était] le facteur déterminant dans l’apparition des désordres ». La cour a expressément écarté l’argument de l’assureur selon lequel la fragilité structurelle de l’immeuble constituerait une cause d’exclusion ou un enrichissement sans cause, en relevant que la réparation devait être immédiate et intégrale, conformément aux articles L. 125-1 à L. 125-6 du code des assurances.
La Tribunal Judiciaire de Montargis, 1re chambre, 28 août 2025, n° 22/01192 illustre parfaitement la nécessité de recourir à des fondations spéciales lorsque la nature du sol l’impose. Dans cette affaire, l’expert avait préconisé la mise en place de micropieux ancrés longrine en béton armé, solution jugée « adéquate et la plus économique » pour remédier aux désordres causés par la sécheresse. Les assurés avaient opté pour une démolition et reconstruction à neuf, mais la juridiction a rappelé que l’indemnisation devait couvrir les travaux nécessaires pour arrêter les désordres, ce qui inclut la création d’une fondation spéciale si elle est techniquement justifiée.
La Cour d’appel de Versailles, 9 juin 2016, n° 14/04304 a également jugé que « les variations hydriques dans les sols à dominante limono-argileuse constituent la cause des bouleversements structurels », et que les travaux de reprise nécessaires pour remettre le bien dans son état antérieur devaient être pris en charge par l’assureur, y compris lorsque ceux-ci impliquent des techniques de fondation spéciales.
Dans le même sens, la Cour d’appel de Douai, CT0094, du 22 juin 2006 a condamné l’assureur à prendre en charge non seulement la reprise des fissures, mais aussi la réfection des embellissements et la moitié des frais de géomètre et de bureau d’études, en considérant que ces dépenses étaient nécessaires pour la remise en état du bien sinistré.
La Cour d’appel de Douai, 22 juin 2006, n° 05/05027 précise que « les travaux de reprises préconisés pour un montant de 38.267,62 € consistant en la réalisation de puits jointifs effectués par passes alternées ont pour objet de reporter les charges sous les horizons argileux pour s’affranchir de toute évolution dans le cas d’un retour d’une période exceptionnelle de sécheresse ». La cour a jugé que ces travaux étaient nécessaires et entraient dans le cadre de la garantie de l’assurance pour les dommages causés par la catastrophe naturelle, sans qu’il puisse être soutenu qu’il s’agirait d’un enrichissement sans cause.
Enfin, la Tribunal Judiciaire, 4e chambre, 7 mai 2025, n° 21/02423 rappelle que « l’assureur multi risques habitation doit sa garantie dès lors que la sécheresse est l’élément déterminant sans l’intervention duquel le sinistre ne se serait pas produit, sans qu’il soit l’élément exclusif », et que « demander au constructeur de construire de façon exceptionnelle et inhabituelle pour anticiper la sécheresse revient à nier le but et l’objet de la police multirisques. Il ne doit pas s’agir d’ajouter des conditions supplémentaires aux dispositions légales. » Cette décision écarte expressément l’argument de l’enrichissement sans cause, en considérant que la garantie doit jouer dès lors que la sécheresse est la cause déterminante des désordres, même en présence de vices constructifs.
Portée et limites de la garantie : la nécessité d’une solution technique adaptée
La jurisprudence distingue clairement entre les travaux nécessaires pour remédier aux désordres causés par la sécheresse et ceux qui auraient pour seul effet d’améliorer l’état initial du bien sans lien avec le sinistre. La création d’une fondation spéciale n’est prise en charge que si elle est imposée par la nature des désordres et l’état du sol, sur la base d’une expertise technique contradictoire. L’assureur peut contester la solution technique retenue, mais il lui appartient alors de démontrer qu’une solution moins coûteuse permettrait d’obtenir le même résultat en termes de stabilité et de pérennité de l’ouvrage.
La Cour d’appel de Paris, 6 février 2009, n° 07/15037 rappelle que « lorsque le dommage a pour cause partielle le fait de l’homme comme une construction mal réalisée le sinistre ne peut être couvert au titre de la garantie catastrophes naturelles, que la seule publication d’un arrêté de catastrophe naturelle pour une commune donnée, comme en l’espèce ne signifie pas que tous les désordres sur les bâtiments dans la région sont imputables à la catastrophe naturelle. » Cette décision invite à une analyse au cas par cas, fondée sur l’expertise, pour déterminer la part de causalité imputable à la sécheresse et la nécessité des travaux envisagés.
Conclusion
L’indemnisation doit permettre une réparation effective et durable, adaptée à la nature du sol et à l’ampleur des désordres, même si cela implique la réalisation d’ouvrages plus performants que ceux d’origine.
L’argument de l’enrichissement sans cause est écarté par la jurisprudence dès lors que la solution technique retenue est la seule à même d’assurer la stabilité de l’ouvrage et d’éviter la réapparition des désordres. Les textes législatifs imposent à l’assureur de garantir les travaux nécessaires pour arrêter les désordres, dans la limite de la valeur du bien assuré, sans pouvoir limiter la garantie à une simple remise en état à l’identique lorsque celle-ci serait inadaptée.